ISIAH-CALEB BRANDENHALE

« Mon frère est le mec le plus bizarre de la terre. » Rire gêné. « Quoi ? Non, pas du tout. » « Comment peux-tu être objectif en protestant sur ce sujet ? » Silence. « D'accord, je ne le suis pas. » Regard assassin. « Je disais donc que tu es le mec le plus bizarre de la terre... Tu te verrais, tu as toutes ces petites manies, depuis que tu es un gosse. Tu touches à tes cheveux plus de vingt fois en une journée. On dirait vraiment une fille, Isiah. » Moue perplexe. « C'est censé être une insulte ? » « Ça aussi, c'est une de tes manies... Tu me coupes et, en plus, tu as réponse à tout. » Air innocent. « Ah, et tu as le visage le plus expressif du monde. J'ai d'ailleurs une question : est-ce que tu sais mentir ? » « Tu sais que je peux mentir. » Rire étouffé. « Oui, tu as raison. Je sais que tu peux. Quoi d'autre ? » « Les banalités, Prue. » Coup d’œil malicieux. « Je me souviens du jour de ta naissance. J'avais quatre ans, et j'avais hâte d'être une grande sœur, ou plutôt une deuxième maman. C'était le six mars, il y a vingt-quatre ans. Tu étais si petit... » Sourire malicieux. « Toutes les parties de toi étaient petites. » Raclement de gorge assez nerveux. « Heureusement, nous avons tous bien grandi depuis. » Eclat de rire. « C'est vrai que tu as bien grandi. Tu me mesures quoi... Un mètre quatre-vingt-cinq ? » Acquiescement de tête. « Ouais, pas mal du tout. » « Quoi d'autres ? » « Hmm. Tu es terriblement grognon le matin. Ainsi qu'en soirée. Toute la journée, en définitive. Tu as aussi un côté aventurier qui a valu de sacrés frayeurs à notre mère. Tu te souviens de la fois où on jouait à l'infirmerie et où tu t'es coupé exprès avec cette espèce de pierre-couteau trouvée dans le jardin ? » Sourire. « Oui, ça m'a fait vraiment mal. Et elle a eu peur que ça s'infecte. » « Idiot irresponsable. » « En même temps, tu es la grande sœur, c'était à toi de prendre soin de moi. » Haussement d'épaules. « Tu voulais voyager. Tu en es où de ce projet ? » « Disons que j'ai quitté notre trou de l'Illinois plus rapidement que toi. » « Toujours le mot pour rire. »

ROBERT PATTINSON. MAKING BEADS NECKLACES.

Hi. Je m'appelle Jeremy, dit Jem, ou music letter. J'ai vingt ans. Bientôt vingt-et-un, d'ailleurs. Je suis vieux, bon sang. Sinon, je suis étudiant en deuxième année de criminalistique, et je viens de Californie, mais je vis en Suisse depuis que j'ai treize ans. Ouais, je vous vois venir. CALIFORNIE ? Mais qu'est-ce que tu viens foutre en Europe ? Surtout en Suisse. Eh bien, écoutez, je me pose la même question ! On va y répondre en disant que je n'ai pas eu le choix. Voilà. Aussi, je suis là grâce à Cam, ma came, ma kikoolol à moi. (a) C'est tout. Pour le moment.

bannière par fuckyeahwfe.
icon par lifeisadream.

« Je m'en vais. » J'écrase ma cigarette en soufflant doucement, la fumée libérant peu à peu mes poumons. Prue me lance un regard en biais, continue de se balancer d'avant en arrière sur la balancelle de notre enfance. Nous sommes tous les deux sous le proche de la maison familiale. Nos parents attendent patiemment que nous finissions notre pause cigarette. Elle s'attend peut-être à ce que je donne de plus amples informations, mais je reste silencieux. Je sens la frustration prendre peu à peu place sur son doux visage, elle plisse les yeux et une petite ride se forme sur son front habituellement lisse. « Je crois que maman va être vexé si tu t'en vas avant d'avoir goûté à sa fameuse tarte aux pommes, Isiah. » m'assène-t-elle avec un sourire en coin. La fumée qui s'échappe d'entre ses lèvres forme un dessin diffus, puis disparaît dans l'air frais de ce début de soirée. Sa naïveté me fait rire. Elle n'a jamais imaginé que l'un de nous puisse quitter le village. Elle l'aime. Elle n'a jamais ressenti le besoin de s'en détacher. Sauf peut-être lorsque nous partions tous ensemble en vacances. Ma main s'écrase sur ma crinière cuivrée, en lisse quelques mèches pendant de courtes secondes, je garde le silence, je fais durer le suspens. « Je veux dire que je quitte Odell. » Je prends une bonne bouffée d'oxygène qui s'infiltre directement dans mes poumons. Je ressens presque le parfum de la ville, c'est étrange. Ma sœur reste silencieuse. Elle ne percute pas. Encore une fois, je ris. Puis, d'un mouvement souple, je me soulève et retombe à ses côtés sur la balancelle qui s'élance d'avant en arrière sous le coup de mon poids. J'attrape les épaules de Prue, la serre contre moi, contre mon cœur, là où elle occupe la place la plus importante qui soit. « Tu vas t'en remettre ? » je souffle au creux de son oreille parce que je sais qu'il s'agit là d'un choc pour elle. Lorsque je me suis installé dans mon appartement, elle a probablement imaginé que c'était pour toujours et que j'avais abandonné mes lubies de grands voyages et d'escapades. « Je ne comprends pas. » fait-elle enfin en respirant - j'avais peur qu'elle arrête complètement. Elle m'interroge du regard. « Et ton appartement ? » Et voilà, je savais que cet argument allait fuser à un moment ou à un autre. Je hausse les épaules. « Mon bail est fini. Je pars dans trois semaines. » Là, j'ai peur qu'elle s'étouffe, la taffe qu'elle vient de tirer est un peu trop grande. Je l'observe avec inquiétude, mais voilà qu'elle souffle la fumée. « Tu comptais me le dire un jour ? » me reproche-t-elle avec ce regard mauvais que je lui connais trop bien. Je sens qu'elle devine ma réponse parce qu'elle me connaît bien. Je sens qu'elle va me valoir un coup derrière la tête. « C'est ce que je suis en train de faire. » Bam. Voilà sa main qui s'écrase à l'arrière de mon crâne. « Sérieusement, Isiah. Quand est-ce que tu vas mettre les parents au courant ? » Cette fois, je suis franchement mal à l'aise. « Ouais, en parlant de ça... » Ils sont déjà au courant.

« Est-ce que tu es assis, mon chéri ? » La ligne est sûrement un peu brouillée. La voix de ma mère, habituellement pleine de vie, même après la mort de mon père, est plutôt faible. J'entends comme un souffle, c'est presque perturbant. Aspirant une nouvelle bouffée sur ma cigarette, je rejette la fumée par la fenêtre en observant les vieux bâtiments de Boston. Cela fait plusieurs années que j'ai quitté Odell. Je n'y ai remis les pieds que pour les fêtes familiales, ainsi que l'enterrement de mon père. Je préfère la ville, mon job de journaliste. Je me perds dans mes pensées, oublie le fil de la conversation que j'ai avec ma mère. « Isiah ? Assis. » Je déteste quand elle fait ça, je n'aime pas qu'on tourne autour du pot. J'ai comme l'impression qu'elle a besoin de me dire des choses qui ne me plairont pas, et j'ai comme la brusque envie de lui raccrocher au nez. Pourtant, je ne le fais pas. Ma mère est trop précieuse, je la respecte parce que c'est ainsi qu'elle m'a élevé. « Je suis assis, maman. » Mensonge. Je suis debout, penché à la fenêtre en humant l'air froid de la nuit qui tombe. Les lumières sont toutes allumées dans la ville, j'adore cette vision. Me parvient un sanglot de l'autre côté de la ligne, alors je quitte ma contemplation, balance le mégot de cigarette et referme la fenêtre. Cette fois, je suis le conseil et m'installe sur une chaise. « Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? » Ma mère renifle. Cela me ramène deux ans auparavant, lorsque j'ai reçu un coup de téléphone du même genre. C'était Prue, qui m'annonçait que mon père avait eu un accident de voiture, et qu'il était mort sur le coup. Mais cette fois, cela me semble différent. « Je suis malade. » Elle lâche la bombe de la même manière que si elle m'avait annoncé qu'elle avait acheté des pommes le matin même au marché du village. J'ai besoin de quelques minutes. Mon cerveau ne comprend pas immédiatement, je n'arrive pas à digérer l'information qui résonne faussement contre les parois de mon cerveau. « Tu es malade ? » Je devine que c'est la question que ma sœur lui a posé quand elle le lui a annoncé, si elle le lui a annoncé. Ma sœur un peu naïve, qui aime croire en la beauté de la vie. « Je crois que Prudence a besoin de toi. » Je ferme les yeux en méditant ces dernières paroles. L'évidence me frappe de plein fouet : c'est grave. Ce n'est pas un rhume, ce n'est pas une angine. C'est grave. « Cancer ? » Le mot s'échappe de mes lèvres avant qu'il n'ait atteint mon cerveau. Je ne sais même pas quelle force j'ai utilisé pour le prononcer. Je l'entends sourire. Je ne la vois pas sourire, mais je sens ce petit souffle paisible qui s'échappe d'entre ses lèvres. « Phase terminale. » elle ajoute. S'en suit une explication, mais je n'écoute plus. Le sang bat à mes oreilles et m'empêche d'entendre ce qu'elle me dit. Je ne suis certain que d'une chose : ma mère est mourante.

« Franchement, Isiah ? Cancun ? Le camping où on venait quand on était gosse ? » J'ai envie de lui mettre le feu. Attention, qu'il n'y ait aucun malentendu, j'adore ma sœur. Mais là, j'ai envie de lui arracher la tête. Je balance mon sac de voyage dans un coin du bungalow que l'on va partager, la regarde ouvrir la fenêtre et fermer les volets, puis s'approcher du lit qui sera visiblement le sien. Elle s'y effondre mollement en poussant un soupir. Je sens qu'un sanglot s'y mêle, mais je fais comme si je n'avais rien entendu. « J'ai pensé que ce serait une bonne idée. » je fais en m'adossant contre la paroi derrière moi. Je ne sais plus quoi faire. J'aimerais qu'elle se déride. J'aimerais apercevoir ce sourire qui faisait fondre mon cœur. J'aimerais qu'elle rie, même si son rire est la chose la plus ridicule que je n'ai jamais entendu. Elle enfonce sa tête contre le matelas spongieux en étouffant les pleurs qui se forment dans les tréfonds de sa gorge, un geste qui arrache mes entrailles. Notre mère est morte depuis deux mois. L'enterrement s'est passé aussi bien qu'un tel évènement puisse se dérouler ; nous avons débarrassé la maison familiale, nous avons tout déménagé, et je suis reparti à Boston. Mais, rapidement, j'ai compris que Prue ne se faisait pas à cette mort, alors je suis reparti à Odell. J'avais trouvé son appartement dans un tel état que cela avait suffi à me faire perdre mon contrôle sur tout. Appelant mon employeur, puis le sien, j'avais demandé quelques semaines de congé. Le mien avait été conciliant, puisque j'avais la possibilité de travailler depuis n'importe quel coin de la planète. J'avais dû convaincre le sien qu'elle déprimait vraiment, qu'elle finirait probablement en arrêt maladie si on ne la laissait pas souffler. C'était tout ce qu'il avait eu besoin d'entendre. Puis, j'avais réservé. Nous voilà à Cancun. « Prue ? » Je m'avance lentement vers elle, m'installe sur le lit où elle me tourne le dos. Quelques secondes de flottement, puis il y a un mouvement de son côté. Elle renifle et se tourne vers moi. Son regard me blesse. Je n'y lis plus la bonté du monde, je n'y lis plus la curiosité de tout. Il est vide. Il est mort. Et c'est à moi de le sauver.